Mexique, 1
Entre toi et moi tout
commence.
Traverser l'Atlantique
pour que reviennent des images de partout. J'ai passé le pont en
fermant les yeux sans vouloir connaître à l'avance les chemins de
l'autre côté. Quelqu'un m'y tendra-t-il la main ?
On part à l'aventure
parce que cela sonne bien. On a dans la tête quelques images, des
peintures de Frida Kahlo, des photos de guerilleros dont on ne
connait que le nom, une ou deux idées de rituels maya. Pas plus.
On part le cœur et le
ventre plein d'envies et de mystères, la faim au centre, l'espoir
dans la poitrine. On sait que de l'autre côté il y aura bien plus,
on sait qu'on ne sait pas on en tremble et c'est bien.
Il y a au hasard des rues
toujours un petit coin de joie, marchandes de fleurs à foison, jus
de fruits frais multicolores, soleil allongé sur les façades jaunes
bleues rouges.
Il y a de la musique,
beaucoup, pas toujours bonne mais convaincante.
Il y a des chiens. Tout
le temps.Gros, moyens, minuscules. El pais de los perros. Les chats
se cachent, s'inquiètent, se concertent certainement dans les cours
à nos yeux invisibles des maisons.
Il y a des airs de
Cambodge, d'Italie, d'Espagne et d'autres pays inconnus.
Les rêves sont faits ,
sans doutes, de beaucoup de devenir et de beaucoup de ce que l'on
aura à mettre de côté. Traverser l'Atlantique, prendre des bus et
des taxis, parcourir des routes dont on n'a aucune idée d'où elles
mènent et c'est très bien comme ça. La certitude au fond que ce
que l'on cherche, ce que l'on attend au bout du chemin c'est
simplement ce qui s'y trouvera.
Ne pas compter les
regrets du Mexique. Ne pas compter les revers ou les échecs,
attentes déçues et idoles déchues. Le voyage est ce qu'on en fait,
ce qu'on en retient, mais aussi, surtout, ce qu'on en rêve. Je t'ai
beaucoup rêvé Mexico. Je te raconte maintenant et les choses n'ont
pas tout à fait la même saveur.
Un récit de voyage c'est
la difficulté de trouver la ligne fine entre ce que l'on a vécu et
ce que l'on a rêvé. Funambulisme délicat. Un voyage c'est autant
le moment présent que l'avant. Et si l'on veut le dire aux autres,
il faut par honnêteté aussi leur raconter tout ce que l'on en a
souhaité.
Où cela a-t-il
commencé ? Je croyais que c'était un jour d'hiver berlinois,
au Martin Gropius Bau , découvrant les œuvres de Frida et laissant
petit à petit la lumière et les couleurs de Mexico s'immiscer à
travers le grau de Berlin, s'immiscer à travers ma peau et panser le
froid.
Cela a ensuite
certainement continué par des paroles dans les bouches des autres,
récits de vie de ce côté de l'Atlantique, noms inconnus sur les
offres d'emplois mal payées mais si attirantes. Dernièrement aenfin
il y avait eu cette sorte de confirmation, un concert ,la Tigrada,
découvrir que des Mexicains se déguisent en tigres pour défiler
une fois par an. Concert pour recoller un peu les morceaux de mon
cœur, toujours celui là, qui se brisait doucement devant les farces
du destin.
Je cherche où commence
le fil, toujours. Quels mots m'ont menée jusqu'ici? A la
bibliothèque de Mexico, comme dans les musées de Kyoto, c'est Ersnt
qui surgit. J'ai les pupilles en grand format. En réalité cela a
certainement commencé sur les bancs du lycée, le nez plongé dans
Breton « Je suis l'âme errante ». Et de ses errances à
lui, à elle, Nadja, lancée dans mes errances à moi.
D'un aller depuis
Marseille à un retour qui n'est pas celui-là. En France, je suis
encore en chemin pour ce que je ne sais pas.
Départ-Retour-Envol-Saut.
En rentrant j'ai sauté
à pieds joints dans le nuage dit « réalité » espérant
qu'il soit parsemé de petits bouts de rêves.
Il ne s'agit plus à
présent que de les collecter.
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